AS TEARS GO BY de Wong Kar-Waï (1988)
Avec Andy Lau, Maggie Cheung, Jacky Cheung, William Chang, Kau Lam
Kowloon: un quartier insalubre de Hong Kong où le vice, le crime et la violence sont quotidiens. Ah Wah (Andy Lau) et son bras droit, Fly (Jacky Cheung) collectent les dettes pour le compte des gangs locaux. Les tentatives désespérées de Fly pour prouver son courage et se faire respecter créent des tensions avec les gangs voisins mettant en péril la réputation et l'autorité d'Ah Wah. L'arrivée de sa cousine, Ah Ngor (Maggie Cheung) provoque de vains espoirs d'amour, d'une vie loin de la brutalité de Kowloon. Mais piégé par sa loyauté envers Fly, Ah Wah ne peut échapper à son destin...
Notes du metteur en scène :
"Quand j'ai vu Mean Streets pour la 1ère fois, ça été un choc car il me semblait que l'histoire aurait pu se passer à Hong Kong. En fait, je me suis inspiré du personnage interprété par Robert De Niro mais les autres personnages du film sont le fruit de mon expérience. Quand j'étais scénariste j'avais un ami qui était cascadeur et aussi une espèce de gangster. On a passé des nuits entières dans les bars les plus malfamés de Hong Kong. J'ai observé et accumulé beaucoup de détails que l'on retrouve dans « As Tears Go By ». On connaissait quelqu'un qui ne parlait pas un mot d'anglais mais qui avait une petite amie anglaise, elle était serveuse et n'a pas hésité à quitter l'Angleterre pour le suivre. C'était un couple étrange qui ne communiquait pas du tout. Je m'en suis inspiré pour un personnage du film. Et puis quand j'étais jeune, j'ai aussi passé quelques années à boire et à me battre…"
Mon avis
Un recopiage pur et dur de « Mean streets » de Scorsese, preuve aussi que le copié/collé ne se déroule pas uniquement dans un sens. Ceci dit, Wong Kar-Waï ne s’en cache pas, et faute avouée, à moitié pardonnée.
Le récit de « As tears go by » transpose le milieu mafieux de Little Italy à celui des triades de Kowloon. Les deux personnages centraux de Charlie/Harvey Keiteil et Johnny Boy/Robert De Niro sont repris presque à l’identique par Andy Lau et Jacky Cheung. Comme dans « Mean streets », il s’agit de petits mafieux de bas quartier, de la petite mafia de rue, que l’on pourra classer dans le genre « drame urbain ». A noter que non seulement des personnages de « Mean streets » ont été recopiés, mais également des séquences entières comme la célèbre scène de baston de la salle de billard. « Mean streets », qui influencera tous le style de Wong-Kar-Waï, bien au-delà de « A tears as go by », sur le thème de la descente aux enfers.
Du cinéma sous très grandes influences… Comme il s’agit d’un film de commande, la production demande à Wong Kar-Waï de se plier à une certaine forme en vogue à l’époque et à un code narratif très précis. Dans la fin des années 80, le cinéma de Hong-Kong connaît une véritable explosivité avec comme tête de file John Woo dont le style va influencer la planète toute entière, le meilleur exemple étant celui de Quentin Tarantino. Dans tout ce qui concerne les séquences dynamiques et violentes, on assistera donc à un savant mélange de John Woo et de Martin Scorsese.
Autres influences également dans l’atmosphère visuelle où la photographie sera travaillée à la manière de la série « Miami Vice », mais surtout complètement influencée par le sublime travail de Tony Scott dans « Les prédateurs ». Par exemple, Wong Kar-Waï lui empruntera son style unique de surexposition de la lumière qui induit une atmosphère très spécifique. L’influence de Tony Scott encore, avec thème le musical de « Top gun », « Take my breath away » de Giorgio Moroder, adapté ici en cantonnais. Pour finir, toujours dans les influences esthétiques, on remarquera également celles du frère de Tony Scott, Ridley, qui nourrira profondément avec « Blade Runner », tout l’esthétisme au style très « publicitaire » de « As tears as go by ».
Ce premier film de Wong-Kar Waï, comme un puzzle qui reconstruit un ensemble de morceaux de cinéma divers et qui fait penser aux méthodes utilisées par un certains Quentin Tarantino… Heureusement, ce sera la première et la dernière fois que Wong-Kar Waï travaillera en ce sens.
Dans cet ensemble complètement impersonnel, on retrouvera tout de même quelques indices de prémisse du style à venir du réalisateur. Par exemple, la passion pour la Love story douloureuse et les couples en permanence séparés, thèmes principaux de « In the mood for love » et « 2046 ». La relation du couple dans « As tears as go by » constitue d’ailleurs le seul aspect intimiste du récit, mais assez important tout de même pour que l’œil du cinéphile commence à s'y intéresser. De beaux moments sur le thème des amours difficiles ou impossibles, qui réussissent à sortir par moment, telles des respirations intimistes, de l’enfermement scénaristique et des règles codifiées peu originales et étriquées. Autre indice, celui du thème de la répétition, qui explosera dans « In the mood for love », et utilisé ici avec la répétition du thème musical « Take my breath away » à travers plusieurs séquences.
Un premier film de cinéphile sous très grandes influences, pour se faire un nom et une réputation. Peut-être un film dont on ne parlerait plus s’il n’avait été réalisé par un des plus grands réalisateurs de son époque, Wong Kar-Waï.